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Rayure et sphères

Innovation et stratégie

Mise à jour : mars 2023.

 

Stratèges d'entreprise et promoteurs de l'innovation ne font pas toujours bon ménage. Mais quand ils s'entendent, la performance est au rendez-vous. Si des dirigeants de licornes paraissent parfois suivre le sens du vent et dégager une image d'hyper-pragmatisme, ce sont aussi de fins stratèges. Elon Musk fait des business plans à plus de 10 ans. Reid Hoffman est resté fidèle à une vision d'un monde professionnel avide de mises en relations de plus en plus fluides, sans dévier d'un pouce, tout au long de l'ascension de LinkedIn, d'abord startup, puis scaleup, centaure, licorne et enfin multinationale intégrée à la nébuleuse Microsoft.

Le système océan rouge a vécu

Les référentiels d'analyse stratégique conventionnels ne sont plus adaptés à notre monde économique depuis au moins 25 ans. Ce constat étonnant est probablement dû à une rivalité entre écoles de management concurrentes, la majorité d'entre elles restant proches d'un système d'analyse historique ayant fait ses preuves (que l'on peut appeler aujourd'hui le système océan rouge, en référence à la tonalité agressive des stratégies de lutte contre la concurrence auxquelles il donne naissance), les autres peinant à promouvoir de nouvelles approches (que l'on peut regrouper sous le nom d'écosystème innovant). Un écosystème innovant n'est pas moins impitoyable qu'un océan rouge, mais il s'en distingue en niant la fatalité d'une concurrence exacerbée. On a donc coutume de le désigner sous le nom d'océan bleu, c'est à dire un univers pas ou peu concurrentiel. Car une innovation propulse l'organisation qui la promeut dans une position unique, sans rival. Sinon, on ne parle pas d'innovation mais d'imitation ou de réinvention, donc de positionnement concurrentiel.

Une organisation quelle qu'elle soit, association, entreprise, service public, se doit de doser ses efforts respectifs dans des univers concurrentiels et non concurrentiels. Pourquoi ? Parce que nous savons depuis environ un quart de siècle que l'innovation a le potentiel de créer plus de valeur que l'imitation ou la réinvention. Pourquoi un quart de siècle ? Parce que cela correspond à l'avènement d'une société communicante dans laquelle l'information est disponible pour tous, mettant à la portée de tout un chacun des idées transformables en projets. La connaissance de l'humanité n'a jamais été aussi vaste, aussi accessible, aussi mesurée, aussi évolutive. La principale différence avec les ères précédentes est la vitesse de sa progression en volume, liée à l'explosion des échanges électroniques. Reste à trier le bon grain de l'ivraie, à construire le bon modèle et à le mettre en musique.

Or les outils du système océan rouge (pour ceux qui veulent en savoir plus, citons par exemple les 5 forces de Porter, le Pestel, le SWOT, le DAS, la matrice BCG, la matrice McKinsey, tous conçus dans les années 60 et 70 - exactement entre 1960 et 1979 - dans des universités et cabinets conseil américains) n'intègrent pas nativement la dimension innovante. Ils ne permettent pas de distinguer les véritables innovations, sans précédent, des créations de nouveaux produits et de nouveaux services du point de vue de l'organisation qui les crée, mais pas du point de vue du marché, du consommateur ou de l'écosystème qui y a déjà été exposé. Innover veut dire être seul. Se différencier veut dire faire partie d'un club restreint d'imitateurs, avec des leaders et des suiveurs. Avoir un positionnement standard veut dire être candidat à l'automatisation, à l'externalisation ou à l'optimisation du coût de fonctionnement. Et les stratégies adaptées à ces différents contextes ne sont pas les mêmes.

La matrice Scenent

La matrice Scenent permet d'apprécier sur une seule vue à la fois la dimension innovante et la dimension concurrentielle, en faisant correspondre des stratégies appropriées à quatre situations types. Les axes d'analyse sont d'une part la vitesse de transformation de l'environnement dans lequel l'organisation opère, d'autre part l'adaptation de son modèle économique à cet environnement. On entend par environnement, ou écosystème, l'ensemble des clients, des partenaires, des investisseurs et des concurrents potentiels ou avérés, ciblés ou simplement concernés par l'activité de l'organisation.

Pour bien comprendre l'axe "vitesse de transformation de l'écosystème", il suffit par exemple de positionner l'industrie nucléaire tout en bas (elle est en transformation lente, ses cycles sont très longs) et l'intelligence artificielle tout en haut (elle connait des rebondissements fréquents et structurants).

Sur l'axe "adaptation du modèle économique", on peut par exemple placer à gauche un acteur de l'énergie contraint par un plafonnement réglementaire du prix de l'électricité (structurellement en perte), et à droite un logisticien maritime stimulé par l'envolée des prix de containers (réalisant des bénéfices substantiels grâce à l'adaptation de son modèle à la conjoncture). Un premier enseignement que donne la compréhension de cet axe est la nécessité de repenser son modèle économique aussi fréquemment que la conjoncture évolue, et de préférence avant qu'elle évolue.

La matrice Scenent permet de faire au moins deux choses : diagnostiquer sa position actuelle et adopter une stratégie adaptée à cette situation. Le premier temps est l'identification de sa position actuelle (cf premier schéma ci-après, Matrice Scenent "Vitesse - modèle" : situations), le deuxième est celui du choix d'une stratégie (deuxième schéma : Matrice Scenent "Vitesse - modèle" : stratégies) :

  • Si le modèle est inadapté et que l'écosystème se transforme lentement (en bas à gauche), la situation est dangereuse. L'organisation ne peut pas compter sur un marché stimulé et sur l'apparition fréquente de nouveaux besoins pour remonter la pente, car il n'opère pas sur un tel marché. La stratégie cardinale consiste à réduire la voilure et à tenter de rebondir sur un spectre d'intervention étroit (cf deuxième schéma).

  • Si le modèle est inadapté et que l'écosystème est en transformation rapide (en haut à gauche), il existe des opportunités de combler de nouveaux besoins. Mais comme le modèle est inadapté, la capacité d'autofinancement est faible voire inexistante. Aussi une stratégie d'alliance s'impose, en bâtissant un projet sur les actifs de l'organisation présentant un potentiel vis-à-vis des tendances à l'œuvre dans l'écosystème concerné.

  • Dans les deux autres cas (à droite), le modèle est adapté. En bas la situation est celle d'un océan rouge, typiquement un marché mûr où l'on domine par les prix et par les volumes. En haut, c'est un océan bleu : un modèle rentable dans un écosystème en transformation rapide. Les stratégies cardinales sont des stratégies de préservation des positions en question.

202302 Matrice Scenent carrée st.jpg

Transitions

Une stratégie cardinale n'est pas la seule possible dans une des quatre situations ci-dessus. L'anticipation de l'évolution du niveau d'adaptation du modèle et de la vitesse de transformation de l'écosystème étant une clé importante du succès, la bonne stratégie peut consister à chercher à changer de zone (même si on se trouve à droite de la matrice). Le développement de nouvelles offres peut ainsi emmener l'organisation vers une transition, une transition se faisant vers le haut ou vers le bas, ou de gauche à droite, mais pas de droite à gauche ou directement en diagonale. Il est d'ailleurs possible de positionner non pas l'organisation elle-même mais ses différentes offres ou actifs clés sur ces différentes zones, et d'en déduire des stratégies adaptées par famille de produit ou de service.

L'expérience montre que beaucoup d'organisations appliquent la stratégie cardinale du quartier en bas à droite, ce qui est bien compréhensible compte-tenu de la prééminence des modèles océan rouge dans les enseignements dispensés par les écoles de management ces 50 dernières années. Or la plupart se trouvent en haut à gauche, une immense majorité d'entreprises, d'associations et de services publics peinant à suivre voire à devancer les multiples tendances qui affectent leur écosystème. Alors qu'elles devraient chercher des alliances avec plus agiles et plus spécialisés qu'elles et tenter d'opérer une transition vers un ou plusieurs océans bleus, elles investissent en marketing et marketing en ligne pour croitre en volume et espérer optimiser le couple prix - qualité perçue. Dans un environnement en évolution rapide et avec un modèle économique fragilisé, c'est peine perdue : les géants de leurs secteurs seront toujours plus forts.

Conclusion

La matrice Scenent est essentielle pour gagner en lucidité vis-à-vis de son positionnement en matière d'innovation. Par exemple, les organisations innovant avec succès (en haut à droite) cherchent à consolider leur position en pilotant leur rythme, jusqu'au jour où des concurrents réussissent à devenir crédibles (pensons à l'iPhone et au Galaxy de Samsung par exemple) et où leur univers devient un océan rouge. Il leur faut alors continuer à piloter la part de leur activité dédiée à l'innovation (en haut à droite), tout en optimisant l'efficience de leurs opérations (en bas à droite). Ce n'est qu'un des usages possibles de cette grille d'analyse, éprouvée maintenant sur plus d'une décennie (elle est née en 2013).

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