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World Designer

Lecture de La boîte à outils du design thinking, par Emmanuel Brunet

Mise à jour : avril 2023.

Les revues de lecture de referenceinnovation.com sont basées sur le principe de la sérendipité (ici compris comme : stimulation de la créativité par l'exposition à un contenu). Aussi elles ne respectent jamais le plan du livre. Elles le commentent librement en se libérant de sa structure.

Un peu d'histoire

Le design thinking a déjà plus d'un demi-siècle d'existence. Il est né et a grandi dans des univers mixtes, hybrides de milieux communicants, artistes et industriels notamment. Il a investi les activités de service sur le tard, notamment à la faveur d'un mouvement de professionnalisation de l'ergonomie des interfaces utilisateurs d'applications en ligne. Il aurait inspiré les sessions de cocréation ayant présidé à l'invention de l'iPhone, et d'autre concepts variés tels que des vêtements de sport légers et transpirants ou des modèles d'économie du partage.

Situations

Les situations adaptées à l'application de la méthode design thinking sont multiples, d'où sa popularité. Fondamentalement, elle permet de créer, d'améliorer ou de réconcilier. 

 

Le design thinking permet aux entreprises de toute taille d’inventer un produit ou un service en faisant appel à la créativité des collaborateurs, des clients et des clients potentiels. La co-création est l’essence même de la méthode, considérée comme la meilleure manière de recueillir un maximum d’idées, de favoriser l’engagement des employés et de parvenir au meilleur résultat possible. Ce principe est compatible avec une des règles édictés par Walt Disney, qui veut qu'une innovation emerge de la rencontre de personnalités et de profils différents rassemblés autour d'un projet commun (le rêveur, le réaliste et le rabat-joie dans la terminologie de Walt Disney - cf innover comme Walt Disney). Les organisations ayant mis le design thinking au centre de leurs préoccupations passent donc du temps à solliciter et fidéliser leur communauté. Le Colibri Frenchy par exemple, une marque de sport made in France engagée pour l’environnement, a institutionnalisé cette pratique. Depuis la page « co-création » de son site internet, elle permet à ses potentiels clients de participer au processus de création des articles. Les sportifs ont l’opportunité de répondre aux questions posées par l’équipe du Colibri Frenchy, de tester les premiers exemplaires et d’aider l’entreprise à mettre au point des produits qui correspondront au mieux à leurs besoins. L'idée est que personne n’est mieux placé pour essayer et juger un prototype que ses futurs utilisateurs.

 

Quand un produit ou un service mérite d’être optimisé, modernisé ou d’être mieux adapté aux usages actuels des consommateurs, l’entreprise peut s’appuyer sur la méthode design thinking pour y parvenir. Chez DHL par exemple, clientèle et collaborateurs sont mobilisés dans un projet de co-création destiné à recueillir des idées d'amélioration d'une chaîne d’approvisionnement (cf DHL : Reinventing the role of the customer).

La cohésion d'équipe, et les effets vertueux qu'elle entraîne, est elle aussi potentiellement favorisée par l'application de design thinkingPourquoi une organisation peine-t-elle à innover ? On entend souvent qu'un manque de ressources (économiques, matérielles, intellectuelles) est en cause, ou que la stratégie d’innovation manque de maturité. Bref, une histoire de "manques". Plus précisément, selon l'article 5 Reasons Why Global Corporations are Struggling to Innovate (qui en réalité sont au nombre de 4), l'écueil du passage à l’échelle, une culture d’entreprise inadaptée, le stress des collaborateurs et le défaut d’alignement entre les différentes équipes impliquées sont au premier rang des raisons de la sous-performance d'une dynamique d'innovation, citations d'universitaires et de dirigeants à l'appui. Et la première raison, l'obstacle du passage à l'échelle, est vu comme une inaptitude des personnes chargées de l'industrialisation d'un prototype à se projeter dans la tête de ses concepteurs et d'éventuels futurs clients, pour bien comprendre ses tenants et aboutissants et les extrapoler fidèlement. Donc les 4 raisons n'en formeraient finalement qu'une : l'inefficacité du travail d'équipe dans un contexte d'initiative innovante. Le design thinking peut participer à résoudre certains problèmes de communication internes, à ressouder des liens entre équipes et accroître le niveau d'engagement. La méthode favorise l’écoute et la compréhension mutuelle, par exemple grâce au jeu.

Faire du design thinking sans le savoir

Beaucoup d'innovateurs font du design thinking sans le savoir ou sans se l'avouer. Dès qu'une communauté active de témoins d'un écosystème est à l'oeuvre, que la bienveillance et la confiance dans la créativité humaine sont mises en avant, il y a "suspicion" de design thinking (comme il y a suspicion de lean startup, ou d'autres déclinaisons de mouvances à la mode). Pour la confirmer et la distinguer d'autres approches, il faut au moins y rajouter une dimension ludique et considérer la présence et l'apport d'un designer professionnel convié à la fête. S'il n'est pas strictement indispensable d'inviter un designer à tous les ateliers design thinking, comme il n'est pas indispensable d'y inviter tous les experts requis in fine, il faudra tout de même se confronter à un tel spécialiste à un moment donné au cours du cycle d'innovation. Dans un autre ouvrage, Tim Brown, auteur et praticien incontournable sur le sujet, souligne que le développement du design thinking a fait beaucoup pour la reconnaissance et la valorisation du métier de designer dans l'entreprise, y compris dans des contextes inhabituels, où ils n'avaient pas historiquement - ou pas naturellement - droit de cité.

Comment ça marche ?

La méthode est donc caractérisée par un triptyque communauté - jeu - design, qui développe la créativité d'un écosystème. Elle tombe à pic car une bonne partie des salariés français (40 %) estime que leur employeur ne prête pas assez attention à ce qu’ils ont à dire (d’après une enquête Qualtrics-Augmented Talent relayée dans un article de Fabien Soyez pour Courrier Cadres en juillet 2021) ; et plus de 20% d'entre eux pensent que l’entreprise écoute davantage les clients que les collaborateurs, ce qui peut être interprété comme une bonne nouvelle si l'on considère que le client a toujours raison, mais traduit tout de même, en tenant compte des autres statistiques fournies, un déficit de prise en compte de l'actif que constitue la suggestion d'un collaborateur. L’auteur du livre précise que l’équipe projet est typiquement constituée de 6 à 9 personnes, dont bien sûr les collaborateurs qu'il faut savoir écouter, mais qu’il ne faut pas que ce cercle reste fermé. Fournisseurs, prestataires, amis sont donc aussi les bienvenus, au même titre que les clients et clients potentiels (autrement dit les prospects).

L'équipe projet représente les points de vue variés de la communauté. Elle explore des potentialités sans retenue grâce au jeu et fixe ses conclusions grâce au design. Qui dit jeu dit matériel et lieu propice à une activité ludique. Une "salle de créativité" peut être équipée de pâte à sel, de peinture, d'objets et de fournitures colorées, de briques de jeux de construction, et le risque est d'ailleurs que certains participants réagissent mal en refusant de se prêter à des enfantillages, l'endroit leur rappelant l'école maternelle de leurs enfants. Une négociation s'installe alors. Elle peut être fertile à condition de bien préciser les règles du jeu en question, et ne jamais perdre de vue le lien établi entre d'un côté ce lieu et son matériel, et de l'autre la réalité de l'entreprise, du client et de leur écosystème. Un dessin ou un assemblage de pates à modeler de couleurs différentes ne doit pas être purement abstrait, mais peut représenter par exemple un boitier électronique doté de boutons, d'écrans, de capteurs et de hauts-parleurs, ou une symbolique d'association entre compétences complémentaires, ou encore un processus et ses étapes (ce ne sont que des exemples, et cette énumération n'a aucune prétention à l'universalité). Il appartiendra par la suite au designer (professionnel, amateur ou apprenti) de transformer cette vision en représentation plus proche d'une éventuelle réalité.

Manger le petit-déjeuner

Exemple d'application : manger sa cuillère, ou le couvert comestible

L'avantage de réunir des compétences complémentaires dans un même lieu est le même que dans un contexte d'organisation agile : ça va plus vite. Encore faut-il passer par les bonnes étapes dans le bon ordre. Prenons l'exemple d'une entreprise, une vraie, et visualisons l'application d'une démarche design thinking à son contexte, pas à pas. Koovee, fondée par Tiphaine Guerout et Johanna Maurel, propose un produit "évidence" : le couvert comestible. Comment, à partir d'une page blanche, aboutir à la génération d'une telle idée et des grandes lignes de sa mise en oeuvre ?

 

Imaginons que nous avons remonté le temps et qu'une équipe projet se réunit avec l'objectif commun de chercher une idée innovante à potentiel qui les motive, et les moyens de la mettre en oeuvre. Atteindre cet objectif veut dire répondre aux critères fondamentaux de désirabilité (coller aux attentes d'une persona, profil type de consommateur ou de consommatrice), de viabilité (rentabilité prévisionnelle du produit) et de constructibilité (réalisme du projet).

 

La première étape consiste à se glisser dans la peau du client. Deux mots-clés sont à l'honneur : « Immersion et empathie. » Les membres de l'équipe doivent d’abord réussir à se mettre à la place du client ciblé. Pour ce faire, il est nécessaire d’aller à sa rencontre afin de mieux comprendre ses besoins, ses habitudes et son ressenti. Dans le contexte de Koovee, on peut imaginer que les premiers retours des sondés commentent une tendance de fond, notamment la persona "professionnels de la restauration" : après le bannissement des couverts en plastique à usage unique en janvier 2021, les commerces de restauration sont désormais confrontés à une nouvelle réglementation depuis le début de l’année 2023, qui interdit l'usage de la vaisselle jetable pour les repas pris sur place. Par ailleurs, comme le démontrent plusieurs études (35% des Français prêts à faire des efforts pour la transition écologique, Pour relancer l’économie les Français sont prêts à dépenser plus pour des produits locaux), les Français sont de plus en plus concernés par les produits écologiques et made in France. Enfin, en sondant les utilisateurs de couverts jetables force est de constater qu’ils ne font pas l’unanimité : ils se cassent facilement et modifient le goût des aliments. Deux personae émergent : les professionnels (dont les restaurateurs, les entreprises du secteur agroalimentaire et les traiteurs) et les particuliers clients de ces professionnels.

 

Lors de la deuxième étape, les données recueillies sont organisées et analysées. Des questions complémentaires surgissent, entraînant de nouvelles sollicitations de témoins d'un écosystème qui commence à prendre forme. Fidéliser cette communauté de contributeurs à l'innovation est un défi permanent et constitue probablement un facteur clé de succès de l'initiative. Si cette communauté se montre active, proactive, communicante, elle alimente avec une précision croissante le processus d'analyse, donc la pertinence du modèle en gestation.

Puis, dans un troisième temps, un atelier d'idéation est organisé. Il s'articule en trois phases : échauffement, remue-méninges et priorisation. S'échauffer veut dire jouer, briser la glace. Il faut bien choisir son jeu en fonction des personae conviées, ici des professionnels de la restauration et leurs clients. À ce propos, la mise en présence des deux personae permet de modérer naturellement la session, les professionnels n'étant pas seulement clients potentiels de l'offre en cours de définition, mais ayant aussi leurs propres clients dans la salle et devant en tenir compte lorsqu'ils expriment leurs attentes, en privilégiant la souplesse plutôt que l'exigence voire l'autorité (ces deux dernières attitudes, correspondant à des relations client-fournisseur déséquilibrées fondées sur le pouvoir et l'intimidation, ayant entre autres inconvénients celui de tuer la créativité). Remuer ses méninges, ensemble, veut dire émettre des idées, des envies, de simples remarques, et rebondir selon la méthode du "oui et". Le "non" et le "oui mais" sont interdits d'un commun accord en début de séance, ou même avant, lorsque les participants pressentis signent une charte incluant cette clause. Cette deuxième phase donne naissance à une liste de produits et de services sans hiérarchie ni diagnostic de faisabilité. La phase de priorisation ordonne cette liste grâce à une notation de ses éléments selon les axes désirabilité, viabilité et constructibilité. Gageons qu'à ce stade, l'idée de manger sa fourchette arrive en haut de la liste.

La quatrième étape est celle du prototypage. Les premiers exemplaires du produit voient le jour. ​Même s'ils ne sont pas parfaits, ils sont déjà donnés en pâture (c'est le cas de le dire) aux membres de la communauté pour qu'ils s'y fassent les dents et donnent leurs avis circonstanciés. La taille critique d'une telle communauté varie typiquement de 100 à 1000 correspondants. Grâce à l'intégration des retours des consommateurs potentiels, le prototype évoluera pour devenir, petit à petit, idéal. Les tailles, les goûts et la texture des couverts ne sont pas anodines et doivent correspondre à des attentes suffisamment durables pour en pas avoir à les changer tous les 4 matins.

Enfin l'implémentation démarre avec une phase de cadrage, précisant les volumes à atteindre à un horizon défini, pourquoi et comment, avec qui, selon quel plan de financement et quel profil prévisionnel de rentabilité. Un exercice de storytelling est utile pour visualiser non seulement le produit final, mais aussi les différentes étapes de son industrialisation, les mesures prises pour respecter les normes sanitaires applicables et les différents cas d'usage. Plutôt que de penser directement le produit final, il est aussi possible de commencer par un MVP (minimum viable product) au sens d'Eric Ries (auteur de The lean startup), c'est à dire une offre minimale permettant d'honorer de premières attentes du consommateur ; l'entreprise se réserve alors la possibilité d'itérer à son rythme, plus tard, pour l'améliorer.

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