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Notes de lecture d'Afrotopia, de Felwine Sarr
(Éditions Philippe Rey, 2016)
Serendipitch La rubrique Notes de lecture fait la part belle à la sérendipité, cette façon de rebondir sur un texte pour en inventer un nouveau. Aussi il ne faut pas s'attendre à ce que cette page colle au propos du livre, mais plutôt s'en inspire pour proposer des réflexions nouvelles, établir des liens avec d'autres sources ou imaginer une suite. Ce témoignage d'une expérience de lecture ayant lui-même pour but de provoquer chez vous réactions, envies, questions et créations, selon le même principe, il se peut que vous souhaitiez partager à votre tour vos impressions de lectrice ou de lecteur. Il vous suffit pour cela de nous les adresser par mél à l'adresse contact@scenent.com en précisant le titre de l'article concerné.
Publication : juillet 2023.
En 2022, 12 pays africains ont eu une croissance supérieure à 5%. Il y en aura 20 en 2023. Pour isoler les tenants et aboutissants d'une créativité spécifique au continent, à sa population et à sa culture, il faudrait retraiter ces chiffres pour identifier les effets temporaires liés à la sortie du Covid (secteur du tourisme notamment), la part de l'exploitation de gisements de minerais ou d'hydrocarbures, et tout phénomène extrinsèque ayant un impact direct sur sa performance économique appréciée selon des critères intercontinentaux. En attendant d'y parvenir, Felwine Sarr propose dans son essai de penser un avenir commun et souhaitable aux 54 pays qui le composent.
Innover y compris dans la façon même d'innover
En traduisant le propos de l'auteur, éminent économiste reconnu mondialement, dans un univers et avec les mots de l'entrepreneuriat innovant, son idée centrale est de réconcilier le continent africain avec son histoire ancienne, antérieure à la période coloniale, pour mieux la propulser vers un avenir qui lui ressemble. Bref, utiliser des fondamentaux intemporels comme tremplins vers de nouvelles façons de vivre ensemble. Il cite un exemple particulièrement frappant : le Rwanda, que l'on appelle parfois aujourd'hui la Suisse de l'Afrique, s'est relevé selon lui de son traumatisme génocidaire grâce à la part belle faite au droit coutumier de préférence au droit international pour apaiser les tensions inter-ethniques. Kigali n'est donc pas et ne doit pas devenir Genève, mais s'invente et se réinvente en s'appuyant sur des normes transmises par l'éducation depuis des millénaires. Si des technologies ou des pratiques importées entrent dans la stratégie d'innovation des acteurs de cette évolution, elles sont intégrées à un schéma plus vaste conçu sans leur secours.
Mythes fondateurs et communication
Toujours en transposant les thèses de Felwine Sarr dans un langage d'entrepreneur (exercice périlleux s'il en est), les communicants savent bien que les mythes fondateurs d'une société sont d'excellents repères à cultiver dans une campagne marketing. Or les mythes africains convergent difficilement avec les mythes "Atlantiques", alors pourquoi s'évertuer, justement, à les faire converger ? En particulier la définition du mot croissance, ses vertus supposées dans l'inconscient collectif, n'ont pas la même acception sur les deux sols. Individualisme ou logique de groupe, la mort vue comme une fin ou comme un passage, une nature à contrôler ou à préserver, autant d'incompatibilités faisant la richesse de notre espèce. Si à l'échelle des deux derniers siècles la dynamique écologique est nouvelle en Europe et en Amérique du Nord, elle ne l'est pas dans les moeurs africaines. À ce titre les pays dits en transition (nouveau nom de "pays en développement") sont en réalité en avance sur les pays réputés avoir réalisé ladite transition. L'idée n'est pas de ralentir, mais d'accélérer mieux. Un exemple concret qui vient en tête en lisant l'argumentaire du livre est la façon astucieuse de financer et d'organiser une production d'électricité solaire décentralisée, village par village et non selon le principe de course à l'économie d'échelle qui conduirait à l'établissement de méga-installations hautement perturbatrices pour l'écosystème.
Transformer un malaise en source de créativité
Le livre souligne un malaise touchant la femme et l'homme d'Afrique, tiraillés entre deux références, celle des ex-colonisateurs devenus partenaires économiques et celle d'ancêtres lointains perpétuée par des relations sociales d'une autre nature, persistantes aux côtés d'autres pratiques imposées ou imitées. Ce malaise ou déséquilibre est une source d'énergie créatrice. Simplement, l'un doit se couler dans la logique de l'autre en sens inverse de ce qui a eu cours pendant 100 ans (ou 200, ou 400 selon les décomptes). Au lieu de mesurer un indice de développement humain (IDH) et d'en déduire un retard structurel et chronique propre à entretenir un complexe qui n'a pas lieu d'être, il faut inventer de nouveaux indicateurs adaptés à une stratégie continentale émancipée. La comparaison avec le Japon est éloquente : la culture locale s'approprie et sublime des savoirs et savoir-faire occidentaux, créant des façons de réussir qui ne ressemblent à aucune autre et qui in fine, fascinent l'occident qui se met à les imiter. On pense notamment au système Toyota, au Lean, aux Kaizen et autres inventions managériales ayant fait tâche d'huile à l'échelle de la planète. Acculturer, rayonner et influencer plutôt que de suivre et tenter de rattraper.
Une histoire de résilience
Le mot résilience est à la mode dans les états-majors de Londres, de Bruxelles ou de New-York. Le CEO d'un grand groupe bancaire international présente cet objectif comme l'un des principaux axes de sa stratégie, consistant à durcir ses processus de gestion du risque et à généraliser l'usage de méthodes de scénario planning bien au delà du seul impératif réglementaire. Or en matière de résilience, l'Afrique a de la ressource, pas seulement dans son sol et son sous-sol, mais aussi et surtout dans sa culture. Les mots et expressions endurance, courage, patience et vivre-ensemble sont cités comme autant de valeurs cardinales que l'individu "Atlantique" a quelque peu oubliées et qui semblent particulièrement adaptées aux enjeux de notre temps. Même si 33 pays du continent figurent sur la liste des 46 pays dits les moins avancés (les fameux PMAs recensés par l'ONU), leurs habitants détiennent une culture capable de sauver le monde. En particulier la fameuse économie informelle, échappant par définition à une comptabilité nationale visible, a le potentiel de générer des modèles économiques innovants. On pense notamment à la fluidité des circuits de financement familiaux et sociaux, dont d'autres régions du monde se sont déjà faites les spécialistes comme par exemple la Chine de Wenzhou dont les ressortissants connus pour leur esprit d'entreprise investissent en groupe de confiance, chez eux mais aussi ailleurs, allant jusqu'à dominer des pans entiers de l'activité économique de leurs pays hôtes. Alors bien entendu l'orthodoxie comptable et fiscale est un facteur clé de lutte contre le fléau de la corruption, mais force est de constater qu'elle tarde à produire des effets notables en la matière. Une voie médiane reste à trouver, bénéficiant de la dynamique culturelle en place tout en décapitant les réseaux corrupteurs et en gelant leurs processus. Les méthodes de valorisation d'actifs conformes aux normes internationales ne sont pas adaptées à cette situation, comme elles le sont rarement lorsqu'il s'agit d'estimer une oeuvre d'art ou simplement une ressource immatérielle, propriété intellectuelle ou culturelle, processus informels difficiles à mesurer, ici ou ailleurs. Les bilans des entreprises, où qu'elles soient immatriculées, restent très imparfaits dès que l'on sort des sentiers balisés des actifs financiers pour s'aventurer dans l'appréciation du prix d'une marque, d'un potentiel humain individuel ou collectif, ou d'un simple savoir-faire.
Une jeunesse ouverte et lucide
L'élite de la jeunesse africaine est à la fois ouverte sur le monde et sur sa propre histoire. Elle connait les codes des deux univers et, de mieux en mieux formée, se montre capable d'en réaliser une synthèse pragmatique et vertueuse. Le livre donne des chiffres de progression du taux de scolarisation édifiants, qui constituent le signe le plus tangible de la transformation en cours. Les langues africaines deviennent elles-mêmes plus accessibles car mieux traduites grâce aux avancées des technologies de l'information, concourant à ce processus d'invention d'une nouvelle Afrotopia.
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