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Rupture et transition énergétique

Françoise Vannobel répond à la question : des innovations en rupture peuvent-elles accélérer la transition énergétique ? Bien que physicienne de formation (elle est titulaire d'un doctorat de thermodynamique) et ayant une expérience de terrain dans l'industrie automobile, elle considère qu'il ne faut pas chercher la solution à cette équation dans la technologie, mais plutôt dans le management de l'innovation. La véritable rupture ne se situerait pas au niveau d'une énième percée en sciences dures, mais plutôt du côté des sciences humaines. Interview réalisée par referenceinnovation.com en novembre 2022.

La technologie évolue plus vite que notre capacité à la maîtriser

Lorsqu'on parle d'innovation en rupture au service de la transition énergétique, on pense tout de suite à une percée technologique, comme une génératrice à très haut rendement ou une batterie incroyablement capacitaire. Si nous devenons capables d'inventer ce type de dispositif un jour, il nous faudra avoir mûri avant et être devenus capables de les maîtriser pour ne pas créer de nouveaux besoins pires que les précédents. Notre mûrissement passe par des ruptures dans les modes de management et d'organisation quel que soit le statut des structures concernées, collectivités, entreprises, communes ou associations.

Le véhicule électrique n'est pas adapté à toutes les situations

Le véhicule électrique n'est ni une innovation en rupture ni une panacée. Compte-tenu des stratégies observables chez les constructeurs automobiles, Il perpétue implicitement un comportement de déplacement individuel alors que le vrai changement structurant serait une évolution massive vers le covoiturage ou les transports en commun. La décision de pousser les feux sur cette technologie a été prise avant de mesurer avec suffisamment de précision son impact géopolitique, économique et environnemental. Les ressources requises par la construction des batteries ne sont pas infinies sur terre, tout le monde cherchant à prendre des positions stratégiques sur les sites d'extraction du lithium par exemple, ou simplement du cuivre réputé plus courant, mais dont la densité diminue inexorablement dans un mètre cube de matière brute d'extraction. La tendance au tout électrique est peut-être un moindre mal à court terme, mais ne constitue pas une solution durable.

Le moteur à hydrogène est une piste déjà ancienne

Au milieu des années 1980, il existait déjà des programmes de recherche et développement avancés sur les piles à combustible au sein des départements spécialisés des constructeurs automobiles. Avec l'arrivée des pots catalytiques, ces initiatives furent oubliées, avant de renaître de leurs cendres aujourd'hui. En pratique, il faut énormément d'énergie pour extraire l'hydrogène liquide d'H2O. Il faudrait réserver cet usage aux poids lourds ou à des moteurs d'avion pour des usages nécessaires. 

Faire durer le nucléaire

Plutôt que d'arrêter les vieilles centrales, comme on le fait un peu en France et comme on l'a beaucoup fait en Allemagne à l'époque de la catastrophe de Fukushima, nous devrions les moderniser et les faire durer. Leur remplacement par des centrales à charbon est une régression sans nom. Il s'agit d'une énergie vraiment décarbonée. L'innovation requise est ici une démarche de conservation collective responsable passant par une nouvelle pédagogie.

La matrice d'Eisenhower

En matière de prise de décision, il existe une matrice bien connue à quatre quadrants : prioritaire / urgent, prioritaire / non urgent, non prioritaire / urgent, non prioritaire / non urgent. Il y a des choses à arrêter de manière prioritaire et urgente, comme les centrales à charbon. Il y a des choses à démarrer de manière prioritaire et urgente : éolienne marines et panneaux solaires. Il ne s'agit pas seulement de créer des fermes solaires dans le Sahara ou des champs collectifs au large de nos côtes, mais aussi et surtout de créer des dispositifs autonomes pour les foyers. Ce n'est qu'à cette condition que les courbes délétères qui nous emmènent tout droit vers un suicide collectif, pour reprendre les mots de M. Guterres, secrétaire général de l'ONU, ont une chance de s'infléchir. Or les énergies renouvelables sont malheureusement insuffisantes car produites de manière intermittente, vent et soleil ne se laissant pas commander facilement, et il faut forcément stocker, donc imaginer des batteries toujours plus vertes.

Pistes managériales

Une série de consignes simples peuvent présider à de véritables ruptures vertueuses :

1. Passer d'un déplacement individuel à une production individuelle d'énergie renouvelable.

2. Passer de l'extractivisme à la modernisation et à la conservation de dispositifs durables.

3. Passer de l'aveuglement à la transparence : il n'y a pas de solution miracle, il y a toujours des inconvénients, il faut peser le pour et le contre (par exemple accepter les nuisances des éoliennes sans pour autant les minimiser).

Une série de vignettes analogues à des cadres de bandes dessinées

Prise de recul

Commentaire par referenceinnovation.com

Diffuser des priorités réfléchies auprès du plus grand nombre

Le champ de la transition énergétique s'étant terriblement politisé, il fait l'objet de simplifications aux conséquences dramatiques. L'interview de Madame Vannobel permet de se baser sur un socle d'affirmations reposant sur une analyse solide et dépassionnée, puisant ses sources à la fois dans l'étude scientifique et la pratique de terrain. En lisant twitter ou d'autres medias largement relayés, aux contenus écrits par de véritables experts noyés au milieu de prétentions d'ignorants, il semble y avoir plusieurs vérités. Aussi les lecteurs se voient contraints de choisir celles qui les arrangent le mieux, plutôt que d'espérer discerner des enjeux fondamentaux, des raisonnements solides ou des pistes vraiment porteuses. Pourtant c'est le grand public et son bon sens qui peut changer la donne, à condition qu'il y ait suffisamment de voix légitimes pour relayer le message. 

La pensée holistique fait défaut

La complexité fait peur. Les mots rares font peur. Or la solution au problème est probablement de type holistique, c'est à dire qu'elle est une combinaison d'actions très variées convergeant vers un même but. Il faut à la fois que les consommateurs d'énergie changent de comportement, que le nucléaire soit réhabilité car sans lui l'équation mettant en relation besoins et moyens n'a aucune chance d'être équilibrée, que les energies renouvelables fassent l'objet d'un déploiement massif, que la recherche et développement dans le stockage soit poussée, qu'une opinion se rassemble derrière cette démarche, que les transports en commun suivent le rythme de la démographie, etc ...

Scénarios et émotion

Il manque un véritable scénario de succès à tout ce qui vient d'être dit et écrit. Plutôt que de multiplier les dystopies, lesquelles renforcent un sentiment d'impuissance au lieu de stimuler les consciences, pourquoi ne pas imaginer un déroulement idéal du projet consistant à sauver notre environnement vital ? Les techniques de scenario planning transportées depuis le champ économique et entrepreneurial vers celui de la transition environnementale ne devraient pas seulement montrer des courbes plus ou moins pessimistes, mais illustrer le meilleur chemin vers le développement conjoint des trois piliers, économique, sociétal et environnemental. Les hypothèses, même farfelues, qui en seraient déduites constitueraient un repère par rapport auquel se situer. Concrètement, plutôt que de dire qu'un scénario de continuité nous fait bouillir comme dans une cocotte minute en 2050, énumérer les conditions de réversibilité optimale, quitte à ce qu'elles ne soient pas réalistes. Car une démarche d'innovation efficace commence toujours par la levée des contraintes, avant de les réintroduire une fois les bons repères posés.

Un avion en vol, vu de dessous et de loin sur un fond de ciel nébuleux

Aéronautique et climat

L'avis des scientifiques

La recherche bât son plein sur le sujet aéronautique et climat. Les messages passée lors d'une conférence donnée par Nicolas Gourdain et Jérôme Fontane, deux scientifiques spécialistes du thème, illustrent à merveille les propos des deux rubriques précédentes. Synthèse réalisée par referenceinnovation.com à la suite de la conférence donnée en novembre 2022 à l'Hôtel des Arts et Métiers à Paris.

État des lieux

L'aéronautique, c'est de l'aviation commerciale, de l'aviation civile non commerciale et de l'aviation militaire. L'aviation commerciale émettant peu ou prou de l'ordre de 80 % du CO2 émis par les aéronefs, les intervenants se concentrent sur cette masse. L'état actuel de la recherche permet de dire qu'au delà de la combustion et de la production de kérosène sur ce périmètre, représentant à elle seule environ 2,1 % des émissions totales de CO2 dues à l'activité humaine, les effets induits par les trainées de condensations ajoutent au moins 3 % des émissions totales à ce chiffre. L'impact du secteur serait donc d'au moins 5 % des émissions totales. 

Les leviers innovants

Grâce à des efforts de scénarisation louables et en phase avec le paragraphe ci-dessus (scénarios et émotion), il est possible de simuler l'impact d'innovations technologiques continues et en rupture (cf l'outil en ligne CAST, en accès libre). On apprend ainsi que ni les innovations technologiques continues ni les innovations en ruptures envisagées, même additionnées, ne parviendraient à entamer suffisamment le phénomène de croissance des émissions pour inverser la tendance. En revanche les deux leviers les plus prometteurs sont d'un autre ordre : accélérer le renouvellement de la flotte pour bénéficier des performances énergétiques des derniers modèles à la plus grande échelle possible (exemple : l'A320 Neo), et planifier des vols dont les routes seraient optimisées pour éviter de créer des trainées de condensation à impact néfaste. Le premier levier coûte beaucoup d'argent, le rythme actuel de renouvellement étant d'environ 2000 appareils par an sur un total de l'ordre de 25 000. Le deuxième suppose de réaliser des percées en météorologie pour devenir capable de réaliser ces planifications avec un niveau de fiabilité acceptable. Pour fixer les idées, si ces deux leviers étaient actionnés rapidement, l'impact total du secteur serait potentiellement divisé par 2 à court terme !

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